Cérémonie des 9 vies : La Déchue / RP Solo

Aurore d’Onyx ouvrit les yeux. La désagréable sensation qui avait ankylosé ses pattes disparut aussi vite qu’elle était arrivée. Autour d’elle, un ciel d’encre. Aucune étoile, aucun nuage ne transperçait l’ombre. Elle était seule. Était-ce normal ?

Ses interrogations prirent rapidement fin. Des aurores boréales apparurent timidement à l’horizon, et s’étendirent progressivement jusqu’à elle. Elle écarquilla les yeux lorsque des silhouettes se formèrent devant elle. Une multitude d’êtres de poussière se détachèrent de l’obscurité et se rassemblèrent autour d’elle. Des picotements parcourent la surface de sa peau ; l’atmosphère était devenue pesante. Quelque chose appuyait sur ses épaules et lui insufflait de coucher les oreilles, de tendre l’échine et de s’incliner. Tous les regards étaient rivés sur elle et lui indiquaient de même. Ressens-toi. Soumets-toi. Donne-toi.

Comme elle ne réagissait pas, des voix se mirent à bourdonner dans ses oreilles. La firent grimacer. Un flot de paroles se déversa dans son esprit comme les vagues d’un océan déchaîné. Un océan qui menaçait de l’emporter, de la briser contre les rochers.

La pression commença à devenir insoutenable. Elle plissa les paupières. Planta ses griffes dans le vide au-dessous d’elle. Hérissa le poil.

Mais elle ne cilla pas.

Soudain, tout s’arrêta. Haletante, mais désireuse de le cacher, elle reprit ses esprits. Elle continua de fixer le matou en face d’elle qu’elle n’avait pas un instant quitté des yeux. Elle espérait que ce qu’elle lisait dans son regard était bien du mépris. Des murmures s’élevèrent dans l’assemblée.

- Cœur d’Onyx.

La voix était claire comme de l’eau. Cœur d’Onyx la reconnut tout de suite et se tourna vers celle qui, encore quelques jours auparavant, était sa cheffe. Aurore de l’Espérance se tenait parmi ceux qui étaient désormais les siens. Rayonnante comme elle ne l’avait jamais été. Elle parla d’une voix solennelle.

- Tu te tiens aujourd’hui parmi nous afin de recevoir tes neuf vies et, de ce fait, devenir la cheffe du nouveau Clan de la Nuit. Elle marqua une pause, puis reprit plus doucement. Voilà une tâche qui ne t’es pas rendue aisée. Je suis navrée de n’avoir pu t’assister dans cette quête de mon vivant. Je ferai cependant tout mon possible pour te guider depuis les aurores boréales. Tout le Clan des Aurores Boréales sera à tes côtés.

Cœur d’Onyx ne répondit pas, et attendit qu’elle reprenne. Aurore de l’Espérance le fit une fois qu’un matou se fut avancé vers elle en la fixant de son regard vert ténébreux ; Cornes de Bélier, son ancien mentor.

- Avec cette vie, nous te donnons la bravoure. Utilise-la à bon escient pour faire face aux nombreux obstacles qui surgiront sur ta route et sur celle de ton clan.

Cornes de Bélier lui toucha le museau du sien, et un éclair fulgurant lui traversa le corps. Elle eut l’impression de revivre la scène du renard, lorsqu’elle était apprentie : peur, terreur et adrénaline se succédèrent à toute vitesse, pour finalement laisser de nouveau place au silence.

Ses sept autres vies lui furent accordées l’une après l’autre, toutes par des félins qu’elle avait côtoyé de leur vivant : sagesse, furtivité, force, prudence, ruse, justice et attention. Lorsque tout fut terminé, Cœur d’Onyx releva les yeux pour voir Aurore de l’Espérance en personne s’avancer vers elle.

- Avec cette neuvième et dernière vie, je te donne l’amour. Utilise-le pour garder espoir et croire en les tiens, jusqu’à leur dernier souffle.

Une larme scintilla au coin de l’œil de la grande chatte tigrée, et le cœur de Cœur d’Onyx se serra. Elle ferma les yeux, tout comme Aurore de l’Espérance, lorsque leurs nez se touchèrent tendrement. Une douleur aigue, comme elle ne l’avait jamais ressenti, la transperça de part en part ; cette douleur était bien pire que celle de toutes les autres vies réunies. Elle entendit les miaulements déchirants de chatons qui viennent de naître, ressentit la souffrance que pouvait endurer une mère de les voir s’éloigner au fil des jours. Ressentit la dévastation qui s’était sans doute emparée d’Aurore de l’Espérance à la mort de Petite Symphonie.

Le contact se rompit, et Cœur d’Onyx chancela, tremblante. Aurore de l’Espérance recula, et tous attendirent patiemment que la lieutenante se remette de ses émotions. Finalement, cette dernière se redressa, l’œil insondable.

D’un seul et même écho, les chats du Clan des Aurores Boréales clamèrent :

- Nous t’appelons par ton nouveau nom, Aurore d’Onyx. Ton ancienne vie n’est plus. Tu possèdes désormais les neuf vies d’un chef, et le Clan des Aurores Boréales te confie la protection du Clan de la Nuit. Défends-le bien, veille sur les jeunes et les anciens, honore tes ancêtres et les traditions du Code du Guerrier. Habite chacune de tes vies avec fierté et dignité.

Tous se mirent à l’acclamer et à scander son nom. Aurore d’Onyx ! Aurore d’Onyx !

La nouvelle cheffe les laissa faire. Elle n’avait pas détaché son regard de celui d’Aurore de l’Espérance. Celle-ci lui demanda si tout allait bien. Sa voix se perdit dans les exclamations. Aurore d’Onyx ne lui répondit que par du regret dans ses yeux. Inquiète, la grande chatte lui reposa la question, plus fort. Mais des flammes se mirent à engloutir le regret dans les iris d’Aurore d’Onyx. Incendièrent ses pupilles. Brûlèrent son âme et enflammèrent ses neuf vies. Aurore de l’Espérance hurla.

- Je renonce au Clan des Aurores Boréales.

Le silence l’assomma d’un seul coup.  Plus aucun son, plus aucune voix ne se firent entendre. La peau d’Aurore d’Onyx la picota de nouveau, et l’épée de Damoclès vint de nouveau menacer ses épaules.

Aurore de l’Espérance était défigurée. L’incompréhension tordait son nez et déformait ses yeux. Sa gueule bée ne semblait être rattachée que par la mandibule.

- Je refuse de dédier ma vie et mon Clan à des chats qui ne daignèrent lever le petit doit qu'une fois qu'une dizaine de vies ne soient emportées. Vous n'offrez rien à ceux qui se sont courageusement battus en votre honneur si ce n'est rejoindre vos rangs misérables. Vous n'avez jamais rien fait pour aider les clans, pour les aider à se nourrir et à survivre, alors que vous avez prouvé pouvoir y faire quelque chose. Vous fusionnez les clans selon vos envies, sans vous soucier des conséquences, avec pour seule préoccupation que l'on continue à vouer votre culte. Depuis des lunes et des lunes, vous nous regardez mourir tour à tour, parfois dans d'atroces souffrances, sans jamais rien faire pour nous apaiser. Vous n'êtes que des menteurs, et des monstres.

Elle avait parlé avec un sang-froid étonnant, d'un ton calme qui tranchait terriblement avec la gravité de ses paroles. Rien ne lui répondit pendant l'espace de longues secondes.

- Je savais qu’on ne pouvait pas lui faire confiance.

Le silence avait été brisé par le chat qui l’avait défiée à son arrivée. Il se détacha de l’assemblée tel une ombre terrible et menaçante.

- Tu n’es qu’un rat, Aurore d’Onyx. Tu n’as jamais cru une seule seconde au Clan des Aurores Boréales de toute ta misérable vie. Tu penses pouvoir venir ici et nous rire au nez comme une vulgaire corneille ?

Le bourdonnement reprit, aussi fort qu’avant. Le matou continuait de s’avancer vers elle. Sous ses pattes, la poussière s’était transformée en ombre engloutissant tout sur son passage. Le sol et le ciel disparaissaient au fur et à mesure de ses pas, de même que les silhouettes des chats.

- Tu n’es rien, cracha-t-il. Tu mourras au moindre faux pas, égorgée par nos fidèles. Ta carcasse servira de repas aux corbeaux qui t’arracheront les entrailles tandis que tu te videras de ton sang. Ton âme se perdra dans le néant et s’emparera de folie pour l’éternité.

Ses yeux n’étaient plus que deux orbites noires avalant la moindre lumière, et ses crocs transperçaient la peau de sa gueule tant ils poussaient. Sa voix n’était plus humaine.

- Tu ne connaîtras jamais le repos. On éventrera ta tombe en mémoire de ta stupidité et de ta démence. Ton nom n’évoquera plus jamais rien parmi les tiens.

La rage était terriblement montée en Aurore d’Onyx. A l’instant où l’ombre était sur le point de la toucher, elle rugit. Une onde de choc se répandit autour d’elle et repoussa tout ce qui était alentour ; les chats qui n’avaient pas encore été engloutis furent effacés d’un seul coup. L’obscurité faiblit, et la lumière bleutée du début scintilla de nouveau tranquillement sur eux. Seul resta le matou, abasourdi, dans son état pré-hallucination. Un craquement sourd se fit entendre au loin, comme celui d’une falaise en train de s’effondrer.

Aurore d’Onyx se releva, la fourrure soulevée par l’énergie de ses neuf vies. Ses yeux gris avaient pris une teinte violacée et brillaient de colère.

- Mon nom évoquera le jour où les chats auront enfin arrêté de dédier leur vie à des usurpateurs.

Elle s’avança, chaque pas semant des éclairs de la même teinte que ses iris. Le sol se mit à légèrement trembler, et le craquement se fit plus proche.

- Mon nom évoquera le jour où les clans auront compris que le Clan des Aurores Boréales n’est qu’un culte destiné à les assouvir pour vous rendre plus forts. Où ils auront percé vos odieux mensonges et votre hypocrisie, et où ils se rendront compte que les seuls pouvant les sauver d’une tragédie sont eux-mêmes.

Une fissure apparut entre eux et les isola ; de la poussière semblait tomber du plafond, comme une grotte qui s’effondre. Aurore d’Onyx s’arrêta et hurla :

- Mon nom évoquera l’instant où le Clan de la Nuit se sera émancipé de votre règne et libéré de votre étau, où tous les Clans auront cessé de s’entredéchirer pour des manipulateurs qui les regardent faire en souriant !

Le chat en face d’elle brûlait de haine, mais elle ne baissait pas les yeux. Le monde était en train de s’effondrer autour d’eux, et il serait bientôt englouti avec. Il cracha, mais le bruit fut perdu dans les grondements. La fissure au-dessous céda, et ils chutèrent dans l’ombre.

Aurore d’Onyx ouvrit vivement les yeux, de retour à l’Arbre du Ciel. Autour d’elle, les racines étaient devenues noires et s’étaient rétractées, comme brûlées par un incendie.

La cheffe noire se releva, s’épousseta rapidement. Elle sortit des dédales de racines et s’éloigna de quelques pas. Avant de se retourner, le regard empli de détermination.

- Mon nom évoquera celle qui perça votre véritable identité, votre soi-disant sagesse, murmura-t-elle, et qui connut le sort que vous réservez à ceux qui ne se soumettent pas à vous. Que ceux capables de telles horreurs soient ceux finissant dans le néant, Clan des Aurores Boréales. Puissiez-vous ne plus jamais mener des ignorants par le bout du nez.

Elle s’en alla dans la nuit sans un seul regard en arrière, signant le commencement d’une nouvelle ère.