Who Would Have Known. [Feufeu & Sably]

Neige s’est levée à l’aube, ce jour-là. Elle a les yeux qui brûlent un peu, les paupières collées par des muqueuses plus roses qu’à l’accoutumée. Le soleil dérange. Le soleil agresse. Elle râle. Mais Neige ne peut s’en prendre qu’à elle-même ; la prochaine fois, l’ancienne guerrière se couchera tôt.
Ouais. Ou pas. On dira que l’espoir est une source de réconfort pour chacun mais que les bonnes résolutions s’oublient le lendemain. Elle bâille, s’étire dans un ronronnement sonore. Elle se lave soigneusement les mirettes d’un coup de langue sur sa patte gauche, puis s’engouffre dans le camp à peine effervescent. Ses congénères dorment encore pour la plupart.
À l’exception de deux individus, en théorie. À moins que ceux-ci soient aussi matinaux qu’elle : c’est-à-dire pas du tout. Elle erre un moment, le poil un peu ébouriffé. Ses prunelles bleues observent les environs. Il y a quelque chose d’apaisant à se mouvoir dans le calme, sans personne autour de soi. La rosée mouille ses coussinets. Elle laisse des empreintes infimes dans l’herbe humide.

Elle arrive sur le lieu de rendez-vous — au début du parcours de ronde — avec une minute d’avance. Si bien que la jeune femelle s’accorde le temps de poser ses petites fesses sur le sol. Installée en sphinx, Neige se lave avec nonchalance. Elle avise enfin ses camarades qui arrivent et, en se redressant calmement, la nouvelle lieutenante remarque qu’une vilaine feuille morte s’est collée à sa patte postérieure droite. Elle lâche un petit miaulement outré, se débarrasse de ladite intruse à renfort de coups scandalisés, puis coule un rire vers ses partenaires de la journée.

« J’ai déjà des ennuis alors que nous ne sommes même pas encore parti ! Bon matin à vous, les garçons. Vous allez bien ? »

Neige a soumis l’idée de ces rondes en groupes plus nombreux il y a quelques jours, suggérant que ce serait peut-être bénéfique pour tisser des liens ou trouver des oreilles attentives aux soucis des uns ou des autres. Spécialement depuis la guerre. Elle estime qu’après une tragédie pareille — après avoir vu ce qu’il y a de pire dans la nature féline — il faut former un bloc avec les autres chats du soleil ; renforcer les amitiés, effacer les rancunes, empêcher ceux qui sont blessés dans leurs cœurs de ruminer plus longtemps.
C’est donc comme ça que la blanche s’est retrouvée avec son meneur et un guerrier endeuillé. En espérant que sa bonne humeur parviendra à tous les contaminer.

Une semaine s'était écoulée. Les feuilles des arbres avaient bruni. Le ciel s'était progressivement assombri. La pluie était devenue quotidienne, et le vent les pourchassait chaque matin après les avoir accompagné la nuit. Les rayons de soleil se faisaient rares, bien qu'aujourd'hui était une exception.

Une semaine s'était écoulée. Son fantôme dansait dans la nuit, à travers les feuilles mortes qui balayaient le camp. Les âmes des déchus dansaient avec elle. Des âmes qui s'étaient effacées dans la brume des Sources Chaudes. Des âmes dont il ne pouvait plus se souvenir du nom.

Il n'avait plus trouvé de vrai sommeil. Il ne pouvait que les regarder virevolter dans ses rêves agités, et observer chaque nuit le même rituel. L'observer aux pattes de tous ces chats qu'elle avait combattu, ou perdu. Ces chats étaient ses compagnons, maintenant. Elle ne faisait plus partie de leur monde. Elle n'était plus une apprentie du Clan du Soleil. Elle n'était plus la sienne.

La tristesse avait fini par quitter son corps, après avoir arraché le moindre de ses organes et tordu sa gorge, sa voix et ses yeux. Elle avait laissé place au vide. Le lever du soleil et de la lune étaient devenus semblables ; les journées n'avaient plus de sens. Chaque patrouille, chaque chasse n'était plus qu'un écoulement de temps destiné à atteindre le lendemain, où tout se répétait encore et encore. Son corps, amaigri et démusclé, était un tronc creux qu'il traînait mécaniquement à chaque destination. Les voix autour de lui n'étaient plus que des échos dont il ne repêchait que le sens primaire. Il s'exécutait comme un pantin, le regard si vide que personne n'en voyait le fond.

Ouvrir les yeux. Se lever. Marcher jusqu'à la sortie. Traverser le camp et le tunnel. Se diriger vers le lieu qu'on lui avait indiqué la veille. S'arrêter à hauteur de Perce-Neige. Attendre la prochaine indication.

L'aube pointait le bout de son nez. Aurore des Flammes se réveillait doucement dans son antre froid et silencieux. Groggy, il ouvrit les yeux, ébloui par la lumière blanche qui filtrait par l'entrée. Il devait se lever. Il avait rendez-vous avec Perce-Neige et Tempête de Feu pour une patrouille. Soupirant, il bailla, se leva et s’étira, puis s’ébroua. Il sortit de sa tanière et jeta un regard circulaire au camp. La vie suivait son cours, plusieurs jours étaient passés depuis la fin de la guerre. Les chats avaient repris leur train-train quotidien. Enfin, pour la plupart. Tempête de Feu restait inconsolable. Il n’était plus que l’ombre de lui-même depuis la mort de son apprentie. Il le comprenait. Lui-même ne savait plus quels choix faire. Il se sentait perdu et désemparé, bien qu’il tâche de ne pas le montrer. Faisait-il les bons choix pour son clan ? Il devrait peut-être en parler avec Perce-Neige sous peu. Elle était sa lieutenante après tout, il pouvait lui faire confiance. Celle-ci les attendait d’ailleurs près du tunnel de sortie du camp. Installée en sphinx, elle faisait sa toilette. Inspirant un bon coup, il rejoignit sa seconde, rejoint en même temps par le guerrier endeuillé qui tirait une tête à faire peur. On aurait dit une coquille vide.

« J’ai déjà des ennuis alors que nous ne sommes même pas encore parti ! Bon matin à vous, les garçons. Vous allez bien ? »

Aurore des Flammes ronronna. Perce-Neige semblait toujours de bonne humeur.

- Bon matin Perce-Neige. Je pense que ça peut aller. Nous pouvons nous mettre en route.

S’engageant dans le tunnel, il invita ses compères à le suivre d’un mouvement de la queue.

Le trop grand silence de Tempête de Flammes qui lui répond, voilà ce que Neige retient. Elle essaie de capter un mouvement — même infime — de ses yeux pour le trahir, lui dire qu’il est bien là, avec elle. Les résultats sont décevants. La lieutenante passe les prunelles du guerrier au meneur du soleil, espérant que celui-ci apporte plus de gaieté. Lui au moins intervient, parle. Ce n’est pas un spectre, pas un fantôme. Neige dessine un chaleureux sourire sur ses lippes rosâtres, la queue sagement enroulée autour de ses antérieurs. Le mâle aux yeux d’ambre lance le groupe sur le chemin de ronde.
Neige décide de les précéder pour donner le rythme. Il est cadencé, plein d’entrain, les prunelles qui traînent avidement sur les environs. Elle ne va pas trop vite pour humer les environs, s’imprégner des parfums — spécialement de ceux qui n’ont rien à foutre là —, les oreilles qui s’agitent dans tous les sens. Souvent, ses billes s’égarent sur ses partenaires. Elle se demande un peu comment briser la glace. Surtout avec le guerrier qui paraît si loin alors qu’il est si proche. Elle se doutait que ce serait difficile de le ramener parmis eux mais pas à ce point.

Elle se racle finalement la gorge, un bruit qui résonne bizarrement dans le silence.

« Vous avez des projets pour le reste de la journée, sinon ? »

[ HRP : Je suggère que l’un de vos chats trouve une piste incongrue / suspecte pour donner un peu de matière au RP ? Sauf si vous avez d’autres idées, évidemment ! ]

Il vit dans un autre univers. Isolé du reste du monde. Les voix sont des échos qui résonnent dans le lointain, et il court. Il court à en perdre à haleine, à la poursuite des silhouettes fantomatiques qui ne cessent de lui échapper. Il ne fait que les entrevoir au loin, et ses hurlements ne parviennent pas à les empêcher de s'échapper. Dans son monde, une multitude d'émotions négatives l'envahissent. La colère. La haine.

Ici, dans ce monde, il ne court pas. Il ne ressent pas. Il n'est qu'une coquille.

Un oiseau s'envole non loin, dans un piaillement d'alerte. La brise souffle autour d'eux et soulève leur pelage épaissi par la saison des feuilles mortes. Le silence est étrangement paisible, ralentit l'écoulement du temps. Il se laisse entraîner par les autres, les suit tel un spectre. Il est si proche, et pourtant si loin. Etait-il aussi proche de Nuage Silencieux lorsque lui fut porté le coup qui lui fit perdre la vie ? Cette pensée l'effleure et s'en va aussi vite qu'elle était arrivée.

Il ne répond pas à la question. Quelque chose le tracasse. Malgré son état hébété, ses sens ne le trahissent pas. Il sent quelque chose d'étrange, et s'arrête, nez tourné vers le vent. Après un bref instant, il dévie de leur route sans dire mot et s'avance rapidement à travers les buissons. Il débouche rapidement dans une petite clairière qu'il connait bien. Des souvenirs lui reviennent tels des flashs de lumière. Un blaireau. Une course-poursuite. Des arbres. Une bataille. Il les ignore. Maintenant n'est pas le moment.

Il s'accroupit près du sol ; l'humus n'est pas dans son état normal, ici. Le sol a été foulé, et pas par les habitants habituels de la forêt. La terre est retournée, presque éventrée à certains endroits. Les marques sont longues, incurvées et nombreuses, comme si elles avaient piétiné le feuillage encore et encore. L'odeur étrange est partout autour de lui. Il ne l'a jamais sentie auparavant.

Tempête de Feu se redresse et suit les traces du regard, jusque là où elles s'enfoncent de nouveau dans les bois. Il n'a pas besoin de faire de signe à Perce-Neige et Aurore des Flammes lorsqu'ils approchent. Ils ont bien compris, eux aussi, que quelque chose n'allait pas.

La patrouille avance en file indienne, humant l'air ici et là. Regarder. Ecouter. Flairer. Tout ce qui nous entoure, afin de détecter la moindre trace suspecte. Le silence règne dans la forêt. Quelques chants d'oiseaux sont tout de même audibles, dont un volatile s'envolant avec un cri d'alerte. Surement qu'il criait "attention, des chats !". Ou alors "ennemi en vue !". Que pouvaient bien dire les oiseaux ? Aurore des Flammes ne s'était jamais posé la question. Avaient-ils un langage particulier ? Ce n'était peut être pas le moment de réfléchir à tout ça. Se secouant un peu, il se concentra sur la ronde. Perce-Neige brisa le silence qui régnait entre eux.

« Vous avez des projets pour le reste de la journée, sinon ? »

- Des projets ? Non, pas particulièrement, je ne crois pas. Et toi, tu as quelque chose de prévu ?

Le félin roux et blanc détecta alors une odeur inhabituelle. Il s'arrêta, huma l'air ambiant et aperçu Tempête de Feu qui s'était éloigné du groupe. Il avait déjà senti que quelque chose n'allait pas. Le rejoignant, il huma la terre à son tour. Des traces étranges, la terre retournée. Quelle créature pourrait bien faire ça ? Pas un habitant habituel de la forêt en tout cas. Cela pourrait-il être des bipèdes ? Pourtant ils ne s'aventuraient jamais très souvent dans le coin. Le poil hérissé, il continua de suivre les traces, suivit de ses compagnons.

Perce-Neige sait que le deuil prend du temps. Elle sait, donc ne prend pas la mouche. Elle laisse Tempête de Feu imposer son rythme, ses silences, son indifférence. Ce n'est pas une insulte. Elle n'est pas ignorée par méchanceté. Elle n'est pas bête, Neige. Cela dit, il faut reconnaître que le cœur se serre quand même, que la joie — normalement à peine entachée par le comportement des autres — commence peu à peu à s'étioler.

Heureusement, le meneur est plus présent. Non, le meneur est présent tout court. On ne peut pas dire la même chose du second mâle. Il est ailleurs. Avec eux à la fois, mais perdu dans un autre monde. Perce-Neige adresse un sourire reconnaissant à son supérieur, se gardant de soupirer de soulagement. Elle ne veut pas que Tempête se sente mal à l'aise. Non. Pas question de laisser apparaître quoi que ce soit.

Elle s'apprête à répondre mais est interrompue par les réactions anormales de ses congénères. Son odorat lui apporte des parfums étranges, si peu familiers que la femelle se demande s'ils sont dangereux ou non. Elle déduit que oui à la tension qui règne dans l'air. Le meneur les dépasse pour les précéder, le poil hérissé. Perce-Neige, pour sa part, se contente de marcher prudemment en observant les marques déposées dans le sol boueux. Elle est sûre que les bipèdes ont des pieds plus grands. Plus larges, aussi. Ils s'enfoncent dans le bois, abandonnant derrière eux les chemins normaux pour les rondes. Elle hume longuement le vent en s'immobilisant régulièrement, les oreilles bien droites, le regard brillant.

Ils approchent finalement assez de la source pour la discerner depuis les buissons. Perce-Neige aperçoit un bipède — vraisemblablement ? — armé d'un objet circulaire et coloré. Elle couche les oreilles sur le crâne, pas sûre de savoir s'il s'agit réellement d'une de ces créatures qui domestiquent leurs proches.

- Ils ne sont pas plus grands d'habitude ? murmura Neige en se recroquevillant.

Elle ne se rappelle pas avoir vu souvent ces espèces animales qui marchent sur leurs pattes arrières. Elle ne les aime pas, ne voit pas l'intérêt de les côtoyer. Par contre, une chose est sûre : celui-ci représente un danger en se trouvant si près de leur camp.

- Il faut qu'on le repousse au loin. Il est trop près de chez nous.

« Il » ? Elle cherche un moment un indice concernant le sexe de l'individu. C'est peut-être elle. Neige soupire. Elle n'en a aucune idée.